Drogues, casino en ligne, jeux d’argent… La prohibition, remède ou fléau ?
En matière de lutte contre les addictions, on constate généralement deux grandes écoles : les prohibitionnistes, qui considèrent que l’interdiction est la meilleure manière de stopper la consommation, et les anti-prohibitionnistes, qui prônent plutôt la réduction des risques dans le but d’aider les consommateurs à concilier leurs addictions avec le reste de leur vie d’une manière la plus saine possible.
Drogues : l’anti-prohibitionnisme gagne du terrain
Il est bien terminé, le temps où le seul discours de lutte contre les addictions aux substances était « La drogue, c’est mal ! ». Aujourd’hui, nombre d’états dans le monde ont dépénalisé, voire légalisé, l’usage de certaines drogues, à commencer par les Pays-Bas, où la tolérance envers le cannabis a permis de diminuer sa consommation.
En Suisse, certaines structures médicales utilisent des psychotropes très puissants pour vaincre les addictions aux opiacés, et ce avec un fort taux de réussite. Au sein de l’Union européenne, ce sont maintenant 18 des 28 pays membres qui ont accepté l’usage thérapeutique du cannabis et huit qui en ont dépénalisé la consommation récréative, contre respectivement 18 et 10 dans le reste du monde. Et c’est sans compter l’Uruguay ainsi que 8 états des États-Unis qui l’ont carrément légalisé.
Il faut dire que les anti-prohibitionnistes possèdent des arguments solides pour défendre leur cause. D’une part, ils soulignent l’aspect psychologique de l’être humain dont les réactions inconscientes liées à l’esprit de contradiction sont nombreuses. C’est-à-dire que si vous interdisez quelque chose à quelqu’un, il y a de fortes chances pour que cette personne soit tentée de le réaliser.
D’autre part, ils mettent en avant l’aspect sécuritaire lié à la santé et au trafic de drogue. Si les substances sont autorisées, elles seront plus facilement contrôlées, tant au niveau de la qualité que de la provenance. Ne pas légaliser les drogues, c’est, selon eux, nourrir le trafic illicite et l’insécurité qui s’ensuit. C’est aussi une non-assistance à personnes en danger, sous-entendue les toxicomanes atteints d’addictions à ces substances dont la qualité n’est pas contrôlée.
Finalement, ils dénoncent les pertes financières liées à la « traque aux toxicomanes ». En effet, on ne compte plus à présent les jugements pour possession ou consommation de drogues alors que le problème est à traiter en amont. À l’opposé, une légalisation de la substance générerait un budget important à l’état qui pourrait être utilisé à des fins de prévention par exemple, comme en Californie où l’argent récolté par les taxes apposées à la vente de cannabis a servi à rénover de nombreuses écoles primaires de la région.
Casino et jeux d’argent en ligne : la loi augmente-t-elle le risque ?
En matière de drogues comme en matière de casinos en ligne le problème est très similaire : où placer la limite entre addiction et usage récréatif ? Pourquoi certaines personnes peuvent tomber « accro » dès le premier usage tandis que d’autres consomment depuis des années sans que cela interfère sur le bon déroulement du reste de leur vie ? Ne faudrait-il pas alors légaliser pour certaines personnes plutôt qu’une certaine quantité pour tous ? Bien évidemment, établir une réglementation au cas par cas relève de l’impossible.
Dans le domaine des jeux d’argent en ligne, la législation française a établi en 2010 que seuls les activités de poker et les paris sportifs et hippiques peuvent être autorisés par l’ARJEL (Autorité de Régulation des Jeux en Ligne), laissant dans l’interdit tout autre jeu de casino en ligne comme les jeux de hasard.
D’aucuns pourraient penser qu’il suffirait à un Français amateur de jeux d’argent en ligne de s’adonner à ce plaisir sur un site étranger. Sauf que la loi stipule également que les personnes résidant sur le sol français ne sont pas autorisées à jouer sur des plateformes étrangères. Mais est-il vraiment possible à l’ARJEL de vérifier toute plateforme de jeux d’argent en ligne à travers le monde ? Résultat des courses : un certain nombre de ces plateformes étrangères, les moins scrupuleuses tout du moins, profitent de cette sorte de zone de non-lieu pour arnaquer les joueurs français. Car oui, malgré l’interdiction, les Français jouent quand même, voire plus. De même que pour la consommation de substances, en augmentation malgré sa prohibition.
La réduction des risques plutôt que la prohibition
C’est là qu’intervient la notion de réduction des risques (RdR). Les anti-prohibitionnistes ont accepté le fait qu’une interdiction n’empêche pas les consommateurs de s’adonner à l’usage des sources de leurs addictions et préfèrent les accompagner dans celles-ci plutôt que de les laisser livrés à eux-mêmes.
À titre d’exemple dans le domaine des jeux d’argent en ligne, la loi de 2010 stipule également qu’il est interdit de faire la promotion de plateformes casinos non agrées par l’ARJEL. Mais certains sites n’hésitent pas à frôler les limites de cette loi, proposant un comparatif des casinos en ligne afin que les Français amateurs puissent jouer aux meilleurs casinos à l’étranger, mais surtout à ceux qui acceptent les joueurs français et ceux qui leur rétribuent bien leurs gains. Pour ces sites, ce n’est pas une question de publicité, mais bien un désir de protéger les joueurs présentant un risque important.
En matière de drogues, c’est là même chose. Nombreux sont ceux à prôner la RdR plutôt que la prohibition, à l’image de Jean-Pierre Lhomme, figure française de la RdR, décédé en août dernier, qui a mis en place le premier programme d’échange de seringues en 1989, le premier bus méthadone (médicament de substitution aux opiacés) en 1998 ainsi que la première salle d’injection en 2016.
Médecin généraliste et humanitaire engagé dans de nombreux projets de RdR (dont la présidence de ce comité chez Médecins du Monde) et des droits de l’homme, Jean-Pierre Lhomme comparait même la prohibition avec l’interdiction à la contraception d’avant le combat de Simone Veil en 1975. Selon lui, la RdR et l’IVG présentaient effectivement un « lien clair entre deux combats qui reposent sur des pratiques médicales considérées comme déviantes au regard de la norme légale et sociale. » (Auto-Support et RdR parmi les Usagers de Drogues)
Les professionnels des addictions sont donc de plus en plus nombreux à adopter l’école de la RdR alors que la loi française semble rester sur son discours prohibitionniste. Un tel écart entre le secteur du médical et le cadre judiciaire est-il compatible au sein d’un seul pays ? En tout cas, avec un tel paradoxe, il reste difficile d’espérer des résultats probants.