Je comprends le désarroi de mes confrères promoteurs, et d’ailleurs aussi celui des particuliers candidats à l’investissement, face à l’annonce de la suppression du dispositif Scellier en 2013. Les réactions des professionnels ont d’ailleurs unanimement condamné cette décision, estimant que la modification radicale du paysage fiscal entraînerait le retrait des investisseurs de l’immobilier locatif neuf, et par voie de conséquence la stagnation du parc locatif ainsi que des tensions majorées sur les loyers, le tout accompagné de destruction d’emplois dans le bâtiment.
Mais si la disparition de l’aide était une chance pour les plus professionnels des promoteurs ? Et si cette évolution, qui rompt avec près de 30 ans d’aides publiques à l’investissement locatif, remettait les choses à leur place ? Plusieurs observations à cet égard.
Tout d’abord, si le dispositif fiscal a toujours eu un effet incitatif, il n’a jamais constitué le seul argument d’achat ni la seule composante de la rentabilité. Le choix du lieu et de l’environnement, la qualité de la construction, la taille et le standing du logement rapportés au marché local, la possibilité de pouvoir aisément trouver un locataire ou de pouvoir le remplacer : voilà quels étaient les critères fondamentaux de sélection. Il est clair que la fiscalité redressait de façon importante le rendement locatif – de l’ordre de 2% – sur la durée de la réduction d’impôt ou de l’amortissement, selon les époques et les formules.
Le problème est que cet argument a fini par rendre les professionnels et les investisseurs moins exigeants sur l’essentiel, au point de conduire à des excès, ou en tout cas de rendre la production de logements moins qualitative intrinsèquement parlant. L’opération-vérité n’intervient d’ailleurs que lors de la sortie de la période de contrat fiscal. A quoi a-t-on souvent assisté ?
On a vu des reventes qui révélaient des prix initiaux qui n’étaient pas en accord avec les qualités du bien, notamment en termes de localisation, et des espoirs de plus-values déçus. Les niveaux de loyer initiaux ayant servi de base au calcul de rendement ont été difficiles à tenir dès la première rotation de locataire, avec des difficultés à louer le logement. A la clef : une perte d’exploitation, généralement au bout de quelques années, ou en tout cas à la fin de la période fiscale.
Je ne parle pas de scandales ni d’abus, même s’il y en a eu de la part de promoteurs ou de réseaux de commercialisation qui ont mis à mal l’image de la défiscalisation et des promoteurs. Je parle du gros de la production normale. La défiscalisation a fait oublier qu’elle ne devait être qu’un atout, et pas tout le charme. Le fard retiré, la construction locative va apparaître sous son vrai jour, et les promoteurs fiers de leur métier en sortiront grandis. On ne peut même pas nier qu’il faille réinventer le modèle, en restant vigilant à toutes les composantes au profit du client investisseur.
Non, les promoteurs dignes de ce nom ne promettront pas des taux de rentabilité boostés, mais des taux rendant compte du potentiel réel du bien. Pour être clair, là où on annonçait du 3,5%, on présentera du 1,5 ou du 2%, hors plus-value de revente. Et alors? L’investissement immobilier restera compétitif et surtout un bien réel (par opposition aux placements mobiliers telles que les actions boursières ou l’assurance vie).
Oui, il sera plus que jamais nécessaire de l’assortir de solutions de gestion fiables, parce qu’aucun cadeau fiscal ne viendra amortir le choc d’une vacance anormale ou d’un impayé non recouvré. Oui, il faudra offrir des assurances et des garanties de haute qualité et oublier définitivement les formules peu protectrices. L’euphorie de réduire ses impôts n’atténuera plus le manque de discernement de l’investisseur.
Oui, il va être opportun de concevoir des logements qui pourront plus aisément devenir des résidences principales après avoir été des investissements locatifs, pour les enfants des investisseurs ou pour les propriétaires eux-mêmes, en privilégiant l’habitabilité, la qualité des équipements et la capacité des matériaux à traverser le temps.
D’ailleurs, il y a fort à parier que les promoteurs favoriseront la mixité des statuts entre accédants à la propriété et investisseurs, alors qu’on avait fini par avoir des résidences exclusivement occupées par des locataires et composées de logements aux surfaces habitables si petites qu’elles en devenaient inconfortables. Il faut mettre fin aux appartements avec des séjours de la taille d’une chambre et des chambres « placard » de la taille d’une salle de bain. Les produits seront ainsi moins calibrés, plus polyvalents, et cette mixité locataires/propriétaires au sein d’un même immeuble induira un entretien plus qualitatif des parties communes. Les propriétaires occupants sont gages d’une attention quotidienne supérieure, on le sait d’expérience. Les syndics d’immeubles, avec des conseils syndicaux plus attentifs, seront de fait plus incités à apporter un meilleur service. Enfin, si les appartements n’ont plus le destin définitif d’être locatifs, leurs acquéreurs seront plus enclins à les acheter enrichis des attributs du développement durable : il est désormais certain que la facilité à revendre et le confort à habiter soi-même sont conditionnés par la vertu énergétique.
Passé le moment de l’agacement, je ne considère pas que la fin du Scellier soit la fin de l’investissement locatif. Je considère à l’inverse que c’est une chance pour les professionnels les plus sérieux et les plus exigeants, comme pour leurs clients.
Il reste toutefois aux propriétaires fonciers, notamment les collectivités locales et les aménageurs, à ne pas trop se laisser séduire par le seul critère de la meilleure offre foncière au détriment de la conception et de la qualité du projet qui leur est présenté.
Il faut aussi et surtout garder à l’esprit que ce que nous bâtissons traversera plusieurs générations successives, la durée de vie d’une résidence n’est pas limitée à celle d’un dispositif fiscal.